Entretien - Le maître architecte de Bruxelles Kristiaan Borret et son sens des responsabilités

Contour

Jeudi 30 avril, le gouvernement bruxellois a décidé de reconduire Kristiaan Borret au poste de maître architecte de Bruxelles. Son deuxième mandat court jusqu'au 31 décembre 2024. Il y a quelques mois, Contour a publié une interview du maitre architecte dans laquelle il revenait sur ses expériences des dernières années et nous raconte ses rêves pour Bruxelles.

 

SLRB : Comment évaluez-vous votre premier terme en tant que maître architecte de Bruxelles ?

Kristiaan Borret : En tout cas personnellement, je suis très satisfait. J’habite Bruxelles depuis plus de 25 ans, mais c’était la première fois que je travaillais dans ma propre ville. Cela m’a donné une très grande satisfaction personnelle, mais a aussi aiguisé mon sens de responsabilité. D’autre part, contrairement à Anvers ou Amsterdam par exemple, où j’ai travaillé aussi, à Bruxelles, on n’est pas encore habitué au rôle du maître architecte. C’est un rôle dans lequel j’ai toujours adopté une attitude assez directe et, surtout au début, cela n’a pas manqué de provoquer des frictions. C’est quelque chose que je déplore, mais en tant que maître architecte, on ne peut pas se contenter d’être une potiche. À Bruxelles, il était grand temps de secouer les choses. Je pense pouvoir dire qu’au cours des cinq dernières années, mon équipe et moi, on a vraiment réussi à améliorer la qualité de projets de construction. On a considérablement augmenté le nombre de concours d’architecture lancés et en plus, j’ai introduit d’autres outils de promotion de la qualité. L’avis du maître architecte est maintenant officiellement inscrit dans la législation bruxelloise, ce qui est quand même un ancrage important pour le futur. 
 

Quels sont, selon vous, les points forts et faibles des projets de construction publics dans la Région ? En quoi réside la qualité des projets de la SLRB ?

Les projets publics sont d’une importance fondamentale pour le développement urbain étant donné qu’ils sont basés sur des valeurs publiques telles que la justice, l’inclusivité, la mixité, l’ouverture, le soin. Dans la rue, ils nous rappellent l’existence du phénomène de société et ils nous offrent - au niveau architectural - des tas de possibilités d’innovation et de qualité. À la SLRB, ce sont des valeurs hautement respectées. 

Mais il n’y a pas que les projets publics qui contribuent à la création d’une ville. À Bruxelles, ce sont les grands promoteurs immobiliers qui construisent la plus grande partie des nouveaux grands immeubles. C’est pourquoi, en tant que maître architecte, j’ai estimé important d’entrer en dialogue avec le secteur privé et de chercher des collaborations pour augmenter la qualité. Eux aussi font preuve d’un réel intérêt pour une nouvelle approche. À mon avis, mon initiative est réussie car de nombreux concours d’architecture pour des projets immobiliers privés sont désormais organisés. Comment cela peut-il nous permettre de porter les ambitions à un niveau supérieur maintenant? 
 

Comment avez-vous vu évoluer, ces dernières années, les projets de construction de logements sociaux ?  

J’ai appris à connaître la SLRB comme une organisation dont les collaborateurs visent toujours le meilleur dans les projets de construction. Ils tentent de mettre en œuvre les valeurs publiques, et ce dans des situations concrètes, pratiques et parfois pas évidentes qui sont propres au secteur du logement social. Entretemps, mon équipe et moi, nous sommes très confiants dans la manière dont la SLRB organise les concours d’architecture. Cela se passe efficacement, mais c’est dans les phases suivantes qu’il risque parfois d’y avoir des blocages. La procédure de permis est toujours tellement longue et malheureusement, les plans de construction suscitent souvent l’opposition, non seulement de la part des riverains, mais parfois aussi des communes qui essaient de contrecarrer les projets de construction de logements sociaux. Je trouve que c’est quelque chose de lamentable. La ville appartient à toutes et à tous. C’est la raison pour laquelle on doit aider les personnes ne disposant pas des ressources financières nécessaires à trouver, eux aussi, un logement à Bruxelles.

Dans le secteur de l’architecture, on constate que de plus en plus de candidats architectes, et même parmi les meilleurs, sont attirés par les projets de la SLRB. Il est symboliquement important que de bons architectes, qui participent par exemple à des projets culturels prestigieux, soient aussi intéressés par la construction de logement social. Ainsi, nous renouons avec la tradition du début du vingtième siècle, époque où les grands talents belges construisaient pour le compte de sociétés de logement social. Les missions de la SLRB sont de plus en plus complexes, non seulement dû au durcissement des exigences en matière d’intégration urbaine, mais aussi dû à l’accroissement de la densité et aux changements programmatiques. Les appartements à quatre chambres ou la construction de logements au-dessus d’entreprises productives sont quelques-uns des nouveaux défis pour les architectes d’aujourd'hui.
 

Dans le cadre de la construction durable, comment peut-on répondre au problème de ce que vous appelez « le stress thermique » ?  

Le stress thermique est une conséquence du réchauffement climatique global qui se fait de plus en plus sentir. Pensons par exemple aux canicules successives de cet été. En ville, la chaleur pose encore plus problème car un environnement minéralisé ne se refroidit pas facilement. L’asphalte, les murs en briques, les cours minérales captent la chaleur pendant la journée et la diffusent encore en partie la nuit. Même quand le soleil s’est couché, les températures ne descendent donc pas beaucoup. La végétation, la terre, les surfaces d’eau retiennent moins la chaleur et peuvent donc fournir un refroidissement. C’est pourquoi on doit miser pleinement sur la « déminéralisation » et prévoir plus de verdure. Un nouveau parc ou une nouvelle forêt sont toujours bienvenus, mais à Bruxelles, il ne reste plus beaucoup de grands terrains disponibles. Et de toute façon, il vaut mieux créer un peu de verdure partout car l’effet refroidissant est surtout très local. Il suffit de se mettre sous un arbre pour sentir la différence. Cette adaptation climatique sera, selon moi, la principale mission des années à venir. Il y a lieu de prévoir davantage de pleine terre, tant dans l’espace public que dans les projets de construction. Pour ce qui est de l’architecture même, ces adaptations peuvent prendre la forme de toitures vertes, de couleurs claires, d’ombragement de façade en prévoyant de grands balcons, des pergolas, des volets extérieurs. Une façade multicouche protégeant du soleil tout en offrant de l’espace extérieur supplémentaire.
 

Quelles sont vos ambitions pour une éventuelle prolongation de votre mandat ?

Dans d’autres villes, on voit que le maître architecte occupe sa fonction pendant environ dix ans. En effet, en urbanisme, les changements s’opèrent lentement et il faut le temps. J’ai certainement envie de faire encore un mandat, mais c’est bien évidemment une décision qui appartient au gouvernement. Si la chance m’est donnée, je profiterais de la continuité pour approfondir certaines ébauches, mais aussi pour proposer de nouveaux accents. J’orienterais la qualité architecturale vers des solutions écologiques. Et, en tant que maître architecte, je dois aussi tenir compte de l’accord gouvernemental. Heureusement, en termes de prise de conscience climatique, ce n’est pas si mal !

 

(© Photo : Jonathan Ortegat)

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